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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 21:27

               Régulièrement, dans les débats entre musulmans comme dans les discussions avec des non-musulmans, se pose la question de savoir s'il existe "un" islam ou "plusieurs". Ceux qui, parmi les musulmans, se veulent les tenants de l'islam le plus orthodoxe, ceux qui se pensent comme les plus fidèles à la tradition prophétique, répondent, bien entendu, qu’il n’y a qu’ « un seul » islam, un islam "unique", puisqu'il correspond à la révélation parfaite de Dieu. Pour eux, le caractère "unique" de l'islam réside tout simplement dans la permanence, à travers le temps, d'un corps de doctrine contenu dans le Coran, qui ne saurait varier (éventuellement, on dira : un "noyau dur" invariable). Mais ceux qui ont une approche plus sociologique des réalités humaines prennent en compte l'extrême diversité des façons d'être musulman dans le monde, et ils diront : il y a "des islams", qui correspondent à différentes ères culturelles, à des écoles juridiques distinctes, ou encore à des lectures doctrinales divergentes (dont témoigne la fracture entre shiisme et sunnisme).

 

Ces divergences renvoient, bien évidemment, à des définitions différentes de l'islam. Que recouvre ce mot pour aujourd'hui ? L'islam, c’est d'abord un message : celui que proposent le Coran et la Sunna. Mais il est aussi, comme toutes les grandes religions, une succession d'interprétations de ces textes fondateurs. Font également partie de l’identité concrète de l’islam, les institutions diverses mises en place en son nom au cours des siècles. Et l'islam, c'est encore, et de manière essentielle, la réalité plurielle des croyants. Car ce qui fait de l'islam une réalité vivante, n'est-ce pas en premier lieu le peuple des fidèles ? Ce sont ces derniers qui expriment l'islam, lui donnent chair, l'offrent à voir et à entendre. Il n'y a pas d'islam sans musulmans! Si donc on considère que l'islam c'est tout cela (et bien d'autres choses encore !), le débat sur l'existence "d'un" islam ou de "plusieurs" islams n'est pas le plus pertinent.

 

Il en va de même de la problématique concomitante : existe-t-il un "islam authentique" ? "Conservateurs", "progressistes" ou "libéraux" de l’islam, tous composent la Umma et considèrent qu'ils sont, chacun pour leur part, les seuls vrais dépositaires ou héritiers de "l'islam authentique". Seulement, chacun de ces groupes s'est construit sa propre vision de l' « islam authentique", l'« islam de toujours", l' « islam fondamental", etc. On voit bien que nous sommes dans une impasse : chacun pense être meilleur musulman que l'autre ! Les uns et les autres oublient qu’au cours de l'histoire, il y a eu de nombreuses définitions de l' « islam authentique". Si l'islam est d'abord ce que les musulmans en font, la manière dont ils reçoivent et vivent le message, ne peut-on pas dire que "l'islam authentique", c'est avant tout "l'authenticité des croyants" ? Leur façon "authentique" de croire et de vivre dans les faits ce qu'ils disent croire ? Le rapport entre un dire et un faire, voilà un type « d’islamité » qui peut intéresser nos contemporains !

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1 mai 2009 5 01 /05 /mai /2009 02:02

          Nous sommes dans un temps où l’on n’existe qu’en multipliant les connexions, les projets, les contacts, les courriels et les coups de fil. Et les possibilités techniques liées à l’internet et à la téléphonie mobile ont bouleversé nos liens, notre sens de l’espace et du temps, l’organisation psychique et presque physique de nos besoins, et jusqu’à nos formes de fidélité. Nous reparcourons régulièrement la liste de nos amis, de nos proches et de nos lointains, de nos correspondants, et nous devons de temps en temps réactiver les contacts pour bien manifester que nous sommes là, que nous existons, que nous n’avons pas lâché le lien. C’est paradoxal pour une société fondée sur l’émancipation, sur la faculté de se délier. Mais c’est ainsi que va la société de réseaux, une société où tout bouge tout le temps, où il n’y a plus rien de solide, où tous les liens peuvent être déliés, et où rode l’exclusion. Malheur à ceux et celles qui n’activent pas leurs connexions, ils sont voués à disparaître peu à peu des carnets d’adresses, à disparaître peu à peu du monde commun. Notre besoin frénétique d’être branchés, de relancer nos attaches, traduit peut-être notre angoisse d’être abandonnés, désafiliés, inutiles et inemployés.
              
          Aujourd’hui, quelqu’un qui a un grand carnet d’adresses, qui reçoit des messages de toutes parts et qui en renvoie dans toutes les directions, c’est quelqu’un de bien, quelqu’un d’important. Ce que je me demande d’abord, c’est si ce n’est pas une des formes les plus terribles de l’aliénation, si la forme prise par notre société n’est pas un vaste mensonge qui nous fait croire que nous n’existerions pas sans devenir nous-mêmes une boule nerveuse de liens qui doivent s’accumuler et rester tous ensemble sans cesse possibles. Ce n’est pas seulement que par ce biais nous sommes de plus en plus dépendants de nos téléphones portables et de nos branchements, auxquels nous sacrifions une part croissante de nos budgets, de notre énergie, de notre temps — dans une véritable addiction, une drogue qui voudrait des doses de plus en plus fortes de temps de connexion. C’est que ceux qui sont vraiment les « maîtres » savent se cacher dans ce brouillage, laisser mourir les connexions inutiles, et ne garder que les connexions qui comptent.

           
          Ce que je me demande ensuite, et surtout, c’est si tout cela ne trahit pas plus encore un manque de confiance. Après tout, si nous étions plus fidèles, nous aurions aussi plus confiance dans la fidélité des autres, nous aurions moins besoin de montrer tout le temps que nous sommes fidèles. Nous aurions moins besoin de réactiver sans cesse les liens, les projets, les e-mails, les SMS, les coups de fils et les contacts. Ainsi, une présence presque sans contact pourrait aussi attester la possibilité d’une fidélité toute autre, d’un autre rythme, d’un autre rapport au temps et aux autres que cette société frénétique. Elle attesterait une tout autre proximité. Oui, je crois qu’il nous manque un peu de cette fidélité tranquille, qui serait un bouleversement aujourd’hui inimaginable de nos modes de vie.
           
          Pour trouver le chemin de cette fidélité, il nous faudrait reconnaître, inventer mais aussi découvrir ce que sont nos attachements. Depuis plusieurs siècles, nous n’avons cessé de vanter les mérites de l’émancipation, de l’autonomie par laquelle un individu rompt avec les liens qui le tiennent en servitude ou en domesticité. Nos vrais liens devaient être des liens librement choisis. J’ai moi-même une grande admiration pour cette invention d’affinités électives, de libres alliances, de libres-attachements, qui a fait la grandeur de la modernité. Mais est-ce que l’émancipation véritable n’est pas justement de reconnaître que nous avons des attachements qui demeurent toujours déjà-là, de reconnaître que nous ne saurions vivre sans porter en nous des fidélités presque enfantines, et plus radicales que toutes les connexions que nous nous choisissons ? Et qu’est-ce justement que la sortie de la minorité, sinon la faculté de gratitude, la faculté de reconnaissance ? C’est alors que nos attachements seraient vraiment libres, et non cette frénésie de connexions qui nous démène.
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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 10:52
La sagesse est sans doute la chose au monde la plus désirée. On la désire dans le malheur pour ne pas s’en faire trop de peine, ou dans la joie pour savoir la goûter avec gratitude il faut les deux, et les époques comme la nôtre qui placent trop la sagesse dans l’évitement du malheur, ou qui font trop de la convoitise le chemin vers la joie, manquent cruellement de sagesse. Mais aujourd’hui on va souvent la chercher très loin, alors qu’elle est la chose la mieux répandue : on la trouve dans le langage ordinaire, dans les trésors d’expressions de toutes les langues, véhiculant des expériences plus singulières et universelles, plus anonymes que tout savoir, et toujours ouvertes sur d’autres expériences, dont nul n’a le dernier mot. Les figures du sage sont donc infiniment dispersées, cependant j’en proposerai trois, appuyées sur des auteurs de jadis et de naguère.
          Depuis l’antiquité, la sagesse a d’abord quelque chose à voir avec le tragique, avec l’irréparable car rien jamais n’est à l’abri du sort absurde, avec le sentiment coupable que nous pouvons faire notre propre malheur sans le savoir. Elle surgit dans les décombres de la rétribution, quand on cesse de croire que le juste est récompensé, l’injuste puni, et que l’on mérite son bonheur. Elle prend avant tout la forme de la révolte, et ce n’est pas un hasard si les livres sapientiaux dans la Bible comportent aussi celui de Job, qui reste sans réponse, et qui est avec Œdipe et Antigone l’une des plus hautes figures que nous ayons de la sagesse tragique. Car les sagesses ne se comprennent pas toujours ente elles. Ce que la sagesse comprend, c’est que les forts ne le seront pas toujours, et qu’il y a des limites à la faiblesse. Les purs, ceux qui croient être cohérents, elle les attend au tournant. Elle attend les sages eux-mêmes au moment où leur sagesse ne leur sert plus de rien.
Apparaît ici une seconde figure où la sagesse touche au comique, à l’art de relativiser, de se faire petit face aux grandeurs tragiques, de regarder à nos pieds. « Nobody is perfect ». Cette sagesse un peu sceptique renonce à se placer au centre du monde, et sait avec les cyniques grecs qu’on ne parle jamais de la même chose, surtout pas du malheur. Elle accepte les compromis, de survivre à sa propre histoire, et que le destin ne nous en veut même pas. Elle accepte que l’autre, ne pouvant vous communiquer son malheur, vous fasse mal. Elle sait que tout est décalage. Lorsqu’on a atteint son but, soi-même on a changé, et l’effort était vain. Quand on veut éviter la répétition d’un malheur on ne voit pas venir le suivant, tout différent. Schopenhauer observe avec une merveilleuse ironie que les plaisirs et les chagrins viennent à leur heure, et qu’à cette heure-là n’importe quoi fait l’affaire. Que la chance donnée à chacun est moins importante que la manière dont il la reçoit, et que ce qui est anodin pour l’un, l’autre en tirera une immense découverte. Mais qu’il est inutile de se faire trop de reproches, car ce qui nous arrive n’est pas entièrement notre œuvre, nous sommes trop faibles, trop bêtes, et pas assez méchants pour cela.
La dernière figure de la sagesse est alors celle de l’effacement de soi pour faire place aux autres et au monde. Il ne s’agit pas d’éliminer l’espérance pour n’être plus déçu. C’est plutôt une sollicitude et une docilité, une réceptivité un peu folle, l’acceptation que d’autres vous communiquent leur joie, et la faculté de saluer celle-ci lorsqu’ils ne vous ne la communiquent pas. Imaginer chacun heureux, cesser de (se) comparer. Le philosophe américain Emerson, à propos de la confiance en soi, écrit que « chaque fois qu'un esprit empreint de simplicité reçoit la sagesse divine, tout ce qui est ancien passe —coutumes, maîtres, textes, temples s'écroulent ; il vit maintenant et absorbe le passé et l'avenir dans le moment présent (…) Quiconque a plus de docilité que moi me domine, ne lèverait-il même pas le petit doigt ». Cessant de s’agripper aux choses qui nous échappent, la confiance en soi est une confiance au monde présent. C’est aujourd’hui ce qui nous manque le plus, et il nous faut cesser de croire que nous puissions être sages tout seuls, retirés du monde. C’est en revenant ensemble au monde ordinaire que nous augmenterons la sagesse commune, la faculté de rompre avec les conformismes ou les dogmatismes qui croient qu’il y a une réponse à tout. Mais aussi de rompre avec le scepticisme contemporain qui estime inutile d’essayer encore de partager nos joies.
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Proposition

          De la folie d'amour, qu'est-ce qu'on a fait ? Cette fadeur qui nous étouffe et qui nous tue. Il faut que cela cesse. Il nous faut vivre éternellement la grâce et ne plus avoir peur. Toujours être pour l'autre ce que l'on est vraiment. Ne pas dire non, jamais. Et puis s'abandonner, brûler de tous les feux ; à en mourir. Et en mourir. De l'énergie qui en découle créer le beau. Sans concession, s'abandonner à l'autre. Émouvoir la nature au point de la faire suffoquer peut-être.
          Car enfin, pourquoi donc on s'obstine à dire que l'on ne s'aime pas ? C'est quoi ce besoin de pleurer seul, cette peur ? C'est le mystère.
          On meurt des temps figés, des questions inutiles, des engagements faciles. Mais rien n'empêchera jamais les méchants d'être méchants, la bête immonde d’être à certains vitale, le malsain d'être immuable. L'arme absolue ne combat plus que l'innocence et, pacifiés, nous sommes l'agneau face au couteau.
          C'est la mélancolie qui nous sauvera, un jour, tout à la fin, de tout ce miasme incohérent et sans visage, de cette horreur qui fait pleurer, de cette souffrance. C'est de cette paix qu'il nous faut, le coeur attendri de soi-même et des autres, de cet appel où tout s'effondre pour renaître.

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