La « loi Perben II » est entrée en vigueur le premier octobre 2004 : création de centres éducatifs
fermés ; garde à vue dès l’age de dix ans, condamnation possible avant dix ans – il faut préciser que les condamnations resteront sur le casier judiciaire après la
majorité ; prisons à partir de treize ans, même s’il s’agit de délits ; jusqu’à quatre jours de garde à vue pour les plus de seize ans. Comme c’est
pitoyable et pathétique, comme c’est affligeant. Désormais point d’innocence, point de pardon. Hormis peut-être pour nous-mêmes.
Or l’on a encore durci ces lois. Comment cela est-il possible sans égratigner fortement les droits de l’enfant,
les droits de l’Homme, tant les tenants et aboutissants des premières « lois Perben » étaient déjà lourdes de conséquences. En effet, qu’est-ce qu’une société qui prend ses gosses en
otages, et parle de la violence de ses enfants tout en l’utilisant à tour de bras contre eux ? C’est en effet un grand pas en arrière qui s’effectue sous nos yeux : la culpabilisation
des enfants d’une nation. Et l’irréversibilité de leurs actes. Après cela, c’est sûr, nous n’avons pas fini de pleurer sur les restes de nos penseurs les plus lumineux, les plus
imaginatifs, les plus révolutionnaires : Ivan Illich avec sa « société sans école », André Breton, Louis Aragon, Albert Camus, Michel Foucault. Ils nous sont plus que jamais
devenus indispensables à la transformation de notre monde. Car nous avons du manquer bien des messages pour en arriver là. Ce qui est sûr, c’est que nos recherches se sont limitées au possible, à
l’imaginable. D’autres se sont chargés de faire valoir leurs rêves à eux. Mais aussi leur idéologie : prison, répression, absence de dialogue.
Si je parle de cela c’est que durant ces dernières années, de nombreuses dérives sécuritaires ont pris le pas sur
certains acquis bien anciens en terme de droits humains. Des mesures qui viennent s’ajouter à celles citées plus haut et qui voudraient bien, en plus de ces enfants, surveiller tout le monde. Et
cela dans divers pays démocratiques du monde. Songez qu’un londonien est filmé en moyenne deux milles fois par jour. Cela au nom du terrorisme, cette fois.
Or, si la lutte acharnée que nous devons mener contre ce terrorisme nous déséquilibre dangereusement vers une
démocratie frileuse et repliée sur elle-même, c’est que nous avons déjà perdu le combat.
Car il faut savoir raison garder et ne pas tomber dans le premier
et le plus grossier des pièges que veulent nous tendre ces terroristes. J’ai cité la peur. Nous ne devons pas avoir peur. De rien. C’est en cela que tout réside. D’autant que nous avons, nous,
chrétiens, les moyens de transcender cette peur en confiance, et cela comme un combat de chaque jour. En effet, qu’est-ce qu’aider notre prochain lorsque nos peurs nous envahissent et font de
nous des êtres méfiants, renfermés sur eux-mêmes, et donc inaptes à donner.
L’enfance de l’art, en toute chose concernant les droits de l’Homme, c’est d’avoir la certitude que rien n’est
jamais acquis. Rien n’est jamais définitif. C’est pourquoi nous devons être vigilants, garder la tête froide malgré les envies que nous avons de tout bousculer. Tout bousculer, Brutalement. Et
puis la garder haute, cette tête. Pour que demain ne sois pas jalonné de rapports de force constants, mais d’envie de vivre ensemble, au-delà de nos différences, tout autant que de notre
soif de justice. Ainsi, chaque chose doit être une invitation à la compassion. Une invitation au bonheur le plus élémentaire.
C’est le Christ qui nous dit d’aller toujours plus loin dans nos
engagements pour la justice. Plus loin : c'est-à-dire au-delà de nos peurs, plus loin parfois, souvent, que nous-même ne le souhaiterions. Cela avec l’assurance qu’il guide nos pas, sans
jamais faillir, vers un monde plus juste, plus équitable, plus simplement humain. Tout en sachant que ce monde ne sera jamais rien d’autre que
le monde.
Alors, s’il est évident que nous devons nous protéger, il est
plus essentiel encore de dire notre dégoût pour un monde aseptisé, chronométré, surveillé. Par on ne sait trop qui, par on ne sait trop quoi. Pour on ne sait trop qui, pour on ne sait trop
quoi.
Quoi qu’il en soit, comme le disait André Breton : « parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il
faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée ». Et l’on peut ajouter sans trop se tromper : nous est offerte. Offerte. Alors qui nous
empêche d’imaginer pour demain non seulement, à l’instar d’Yvan Illich, en plus d’une société sans école, une société sans prisons ? Après tout n’est-ce
après avoir été rêvées longtemps que nombre de nos acquis les plus certains se sont réalisés ?